jeudi 28 juillet 2016

Depardon, Les Habitants


Raymond Depardon filme en photographe. Il cadre la caravane à l’arrêt, bien calée sur ses béquilles, au milieu de l’image. Ça bouge un peu autour, ça bouge derrière la grande vitre rectangulaire qui ouvre sur le mouvement de la ville, comme un décor mobile,en arrière-fond des deux personnes assises de part et d’autre de la table de la caravane. Plan fixe de la caméra. Quelque chose arrive uniquement par le discours.

Entre les séquences de conversation, la caravane roule, filmée par une voiture suiveuse : elle traverse la campagne, des petits villages, comme des transitions, à la fois coupures et liaisons entre deux scènes. Le ruban de la route assure la continuité et la différence entre les accents du Nord au Sud, les types humains.

Dans les paroles, dominent le vide, la solitude, l’abandon, le sentiment de l’inutilité. Mais tous veulent exister. Ils ont encore « la force de vouloir », comme dit le poète.

C’est ça, la France ? Depardon ne prétend pas donner une image fidèle, avec un « panel » de citoyens représentatifs, comme dans les sondages. Plutôt qu’un sondage, c’est une série de coups de sondes dans le quotidien.

Le choix de deux personnes au lieu d’une place au centre la relation (homme / femme, parent / enfant, copains et copines). Ce n’est pas un film-confession, mais un film-conversation, avec une intimité forte, mais telle qu’elle peut se dire à un proche. La parole est interne au dispositif du film. Celui qui filme est absenté, et le spectateur, par la largeur du cadre, est aussi peu que possible un voyeur : il ne regarde pas par le trou de la serrure. Il est comme au théâtre : le quatrième côté de la caravane a été enlevé.